Bonjour Sylvie

Merci d'avoir accepté notre demande d'interview.

- Pouvez-vous tout d'abord vous présenter, et indiquer quelle est votre implication dans la lutte pour l'égalité parentale et la défense des droits des papas ?


Je suis une enfant du divorce, née au Havre en 1950. Mes parents se sont séparés lorsque j'avais 6 ans, ma sœur Annie 8 ans et ma sœur Chantal 9 ans. Nous avons été confiées à notre mère par décision judiciaire. Elle n'a eu qu'une raison de vivre : faire payer à son ex-mari son abandon du domicile conjugal. Pour cela, elle s'est servie de ses filles. Son plan de vengeance était bien huilé : le priver de ses filles en l'empêchant d'assurer ses droits de visite au mépris des lois puisque cette pratique constitue un délit ; supprimer l’amour de ses filles pour lui par la calomnie, les accusations mensongères ; maltraiter ses filles pour qu’il en souffre.
Sa violence physique et verbale n'aura pas de limite pour nous plier à ses exigences. Je l'ai quittée l'année de mes 16 ans avec ma sœur Annie pour rejoindre mon père, bien que la gendarmerie et le juge des enfants (à l'époque c'était lui qui réglait les conflits) ne soient pas d'accord et considéraient notre départ comme une fugue qui nous ramènerait immanquablement sous le toit maternel.

J'ai exercé le métier d'assistante sociale, un métier de réparation, dit-on. Ma sœur Chantal, celui d'infirmière.
Mon implication dans la lutte pour l'égalité parentale est très modeste : je signe, en joignant un commentaire, les pétitions qui demandent la résidence partagée, celles pour reconnaître aux pères leur rôle d'éducateur, je réponds par des commentaires à des articles qui parlent d'égalité parentale, d'aliénation parentale... En janvier 2015, j'ai écrit à Christiane Taubira, alors ministre de la Justice, pour attirer son attention sur le rôle éducatif que les pères exclus ne pouvaient plus remplir auprès de leurs enfants et les risques d'aller vers une société sans pères. Je n'ai pas eu de réponse.

Je participe à quelques salons du livre. Dans ces lieux, je rencontre des visiteurs auprès de qui je peux expliquer les chiffres de la séparation parentale, notamment les inégalités entre les pères et les mères, les "bienfaits" de la résidence partagée et autres sujets dans ce domaine. Beaucoup ignorent ces problèmes et s'étonnent des chiffres.
Je ne me sens pas de taille à mener des conférences sur ces sujets. Quand on a été maltraité physiquement et psychologiquement, il en reste des traces à l'âge adulte. Il m'est difficile de m'exprimer en public, des émotions incontrôlables me font perdre le fil de ma pensée, cela devient une vraie pagaille dans ma tête.



- Comment réussissez-vous à rester positive au milieu de toutes ces émotions négatives ?

J'ai eu beaucoup de chance de savoir supporter la violence de ma mère en développant des astuces et stratégies qui m'ont fait attendre sans trop de destruction la fin de l'enfance.

Je pense aussi que mon père a eu le temps de nous aimer suffisamment avant son départ de la maison pour que nous nous souvenions de son amour pour nous et que ma mère perde progressivement de son crédit quand elle nous racontait toutes ses méchancetés sur lui. J'ai vécu cette période avec les images qui me restaient de mon père aimant. Elles m'ont fait tenir.

Aujourd'hui, mon histoire appartient au passé, je l'ai digérée depuis longtemps. Je peux en parler sereinement.



A/ Vous gérez les Jeudis Muets, via un livre et le site internet (http://jeudismuets.forumactif.org)
- Comment est né « Les Jeudis Muets » ?


Ma mère nous interdisait toutes sorties, d'avoir des camarades, elle nous gardait le plus possible enfermées dans la maison et sous sa coupe. Interdiction de nous exprimer par la parole, de bouger, de prendre des initiatives nous concernant et autres interdits absurdes liés à sa haine de notre père. Nous passions notre jeudi (jour sans école) et nos week-ends assises devant la table de la cuisine, sous son œil sévère et intransigeant, d'où le titre du livre Les jeudis muets. Elle m'autorisait à lire, elle devait assimiler la lecture à la scolarité. Je suis devenue boulimique de lectures, les livres me servaient de refuge, ils formaient un écran entre elle et moi, ils m'apprenaient la vie. Ils m'apprenaient à analyser son comportement.

A 13 ans, j'écris un roman Le printemps de la vie. En le relisant il y a quelques années, j'ai réalisé que j'avais éliminé les parents de mon héroïne ! Elle était devenue orpheline. A 15 ans, je tiens un journal intime pour ne rien oublier de ce que je vivais.

En grandissant, je découvrais la souffrance de mon père, celle de mes sœurs, celle de ma mère aussi. Mon père était gravement malade, ma mère nous répétait qu'il "allait crever et qu'on serait bientôt débarrassées". Je ne supportais plus d'entendre cela, ni de savoir qu'il faisait 600 kilomètres aller et retour pour venir nous embrasser et qu'il repartait sans nous avoir vues. Ma révolte amplifiait. Je savais qu'un jour je raconterais mon histoire.



- Qu'est-ce qui vous a poussé à aller vers les autres pour leur faire profiter de votre expérience et vos connaissances ?

Ce que j'ai vécu est un exemple d'un divorce raté pour chacun des membres du couple et pour les enfants. Quel en est le résultat ? Ma mère a perdu ses filles ; mon père est mort jeune ; nous, les filles, nous avons été marquées à vie. A notre époque, il ne faut plus jamais vivre de divorce comme celui de mes parents. Mon témoignage prouve combien les comportements de certains parents sont ridicules, ils ne mènent qu'à la perte de chacun. Nous sommes responsables de notre conduite, tôt ou tard, nous devrons en rendre des comptes.

Je trouve scandaleux qu'un parent puisse manipuler ainsi ses enfants contre l'autre parent en toute impunité. La parole de notre père n'a jamais été prise en compte par la justice, ce qui rendait notre mère toute-puissante et la plaçait au-dessus des lois. En France, il y a trop de pères exclus de la vie de leurs enfants. Il faut que les pères retrouvent leur place dans l'éducation de leurs enfants, il faut faire la guerre au parent tout-puissant. Je voulais démontrer qu'un enfant, pour grandir harmonieusement, a besoin de ses deux parents. Je pleurais l'absence du mien. De quel droit prive-t-on un parent de son enfant quand on n'a rien à lui reprocher et de quel droit prive-t-on un enfant de son parent ?

Bien que je ne sois pas psychologue, il s'agit d'aliénation parentale dont nous avons été victimes, notre père et nous trois. Ma sœur aînée ne voulait plus voir son père, tant sa mère avait de l'influence sur elle par ses racontars. Mon histoire est remplie de cette aliénation qui n'est pas formellement reconnue aujourd'hui ou elle est prise à la légère.
A travers mon témoignage, je voulais que les professionnels de l'enfant se rendent compte combien la maltraitance physique légère et la maltraitance verbale et psychologique sont invisibles et détruisent l'enfant silencieusement. Trop d'enfants maltraités gardent le silence à l'âge adulte sur ce qu'ils ont vécu. Il faut que l'on entende leur histoire.



- Que conseillez-vous aux pères qui luttent pour accéder à leurs enfants, face à une justice familiale faible et dysfonctionnante, et à des services sociaux qui prennent parti exclusivement pour les mères, souvent sans ne rien comprendre ?

Malheureusement, je n'ai pas de conseil à leur donner, puisque c'est notre justice qui décide de ce qui est bon pour chacun. Je ne m'appuie que sur mon expérience. Plus les parents "exclus" et/ou "dénigrés" se battront de manière pacifique, sans envenimer les choses, sans agressivité, plus les lois évolueront dans le bon sens. Il faut y croire, il ne faut pas abandonner la lutte.

Je voudrais dire à ces pères qu'ils ne baissent jamais les bras, sans pour autant mettre leur vie en danger comme certains le font, qu'ils maintiennent le plus possible le contact avec leurs enfants et qu'ils gardent confiance, leurs enfants reviendront vers eux lorsqu'ils réaliseront qu'ils ont été manipulés, trompés. A ce moment-là, s'ils ont tenu un calendrier de leurs démarches pour tenter d'apporter leur amour à leurs enfants, ils pourront justifier de tout ce qu'ils ont fait pour que le rapprochement se réalise. Ce sont des moyens dérisoires, mais mis bout à bout ils auront un sens.



B/ Il y a beaucoup de structures impliquées dans la lutte pour l'égalité parentale, la défense des droits des pères, etc.
- A votre avis, quelles sont les organisations majeures en place actuellement et susceptibles d'avoir un véritable impact au niveau national ?


Je ne connais pas suffisamment les structures pour me permettre d'en mettre quelques-unes sur le devant de la scène. Quand je fais des recherches sur Internet, je suis toujours surprise de voir la façon rigoureuse dont elles défendent l'égalité parentale et les droits des parents et des enfants. Leurs démarches de qualité sont nombreuses pour obtenir ce pour quoi elles militent. Elles font un travail énorme. Mais leurs efforts sont peu récompensés puisque les choses ont du mal à évoluer.


- Que pensez-vous de l'idée de l'association Equité Parentale, qui consiste en fait à tenter de créer une sorte de Confédération des Défenseurs de l'Egalité Parentale, qui permettrait à toutes les structures de garder leur indépendance et leurs spécificités locales, mais de se regrouper autour d'opérations ponctuelles pour demander aux acteurs locaux de faire correctement leur travail ?

Je trouve que c'est une bonne chose dans la mesure où l'action ponctuelle en question rassemblerait davantage de parents confrontés à ces problèmes dont nous parlons et des associations plus nombreuses. L'isolement des associations est un frein à la prise en compte de leurs revendications. Elles auraient ainsi plus de poids.


- Avez-vous quelque chose à rajouter en plus de ces questions ?

Voilà ce que j'ai écrit à Christiane Taubira sur la résidence alternée :

L'enfant se moque éperdument des motifs de bataille de ses parents. Il veut grandir auprès de Papa et auprès de Maman, même si c'est à 50% auprès de chacun, il est capable de le comprendre. Fixer sa résidence en alternance chez sa mère et chez son père n'offre que des avantages :
*    Il vit avec ses deux parents dans la continuité des relations et des échanges ;
*    Le lien n'est plus coupé avec sa famille soit maternelle, soit paternelle ;
*    Les deux parents participent à son éducation ;
*    Un parent maltraitant se méfiera : l'enfant pourrait se plaindre à l'autre parent si la     confiance est établie avec celui-ci ;
*    Un parent qui dénigre l'autre, qui l'accuse à tort, l'accable de tous les défauts, perdra vite     de son crédit par la capacité grandissante de jugement de l'enfant ;
*    Un parent manipulateur qui exploite la vulnérabilité de ses enfants, sera vite déjoué ;
*    Le droit de l'enfant d'entretenir régulièrement des relations personnelles avec ses deux     parents est respecté ;
*    Le parent tout-puissant n'existe plus.

L'enfant ne doit pas être mêlé au conflit de ses parents, sinon il s'en échappera par n'importe quel moyen et souvent par des conduites inadaptées que la société n'arrivera pas à redresser, même au prix de sommes folles investies dans la prévention.

Les juges, les médiateurs, les psychologues et psychiatres, les éducateurs, tous les professionnels qui essaient de cerner la situation de l'enfant, doivent se méfier d'un parent manipulateur. Un parent manipulateur, avec un minimum d'intelligence, arrivera toujours à tromper ces professionnels.



Merci, et nous vous souhaitons une excellente journée.

Et moi, je vous remercie de m'avoir permis de m'exprimer sur ce sujet qui me tient à cœur.

Sylvie Hippolyte






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